A quoi rêvent les speakerines ?
Le Figaro – 27 octobre 1982
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« Célébrité : l'avantage d'être connu de ceux que vous ne connaissez pas » (Chamfort). Voilà une formule qui illustre parfaitement la popularité des présentatrices de programmes. Femmes-enfants, femmes fatales ou gamines délurées, poudrées et peinturlurées, elles sont toutes devenues speakerines sans vocation et par hasard.
Ces drôles de dames ont empreinté des chemins détournés avant d'apparaître sur le petit écran. Comédienne (Patricia Lesieur), danseuse (Carole Varenne), étudiantes (Élisabeth Tordjman, Fabienne Egal, Évelyne Dhéliat), animatrice de radio (Catheryne Ceylac), présentatrices d'émissions télévisées (Dorothée, Virginie Crespeau), mannequin (Denise Fabre), elles sont toutes d'accord pour reconnaître l'intérêt de leur métier. « L'école du direct réclame de la rigueur et de la discipline », affirme Denise Fabre.
« Nous faisons la même chose que les journalistes et que les attachés de presse, poursuit Evelyne Dhéliat : donner des informations autres que celles que les téléspectateurs ont sous la main. »
« Nous devons faire un énorme travail de documentation, visionner des émissions, rédiger nous-mêmes nos annonces en fonction du temps d'antenne », explique Fabienne Egal. Cette dernière se félicite d'ailleurs d'avoir passé une maîtrise d'espagnol et d'avoir suivi des cours d'italien et de russe « afin de ne pas écorcher les noms étrangers ».
Ce professionnalisme n'empêche ni les fautes de français ni les coquilles en tout genre, ni les hésitations et les répétitions qui font le charme de nos présentatrices.
Rivées à leur chaîne par des contrats renouvelables tous les mois, tous les six mois et enfin tous les ans, elles risquent des avertissements et même le renvoi, « de quoi rajeunir les troupes », s'amuse Virginia Crespeau. Mais elles bénéficient d'un emploi du temps souple, de mises en disponibilité et de possibilités de cumul d'émissions et d'annonces de programmes.
Nos speakerines fourmillent d'idées et déposent nombre de sujets d'émissions, le plus souvent refusés. C'est normal que l'on ait des projets au sein d'une même chaîne, explique Virginia Crespeau. Il faut se reconvertir, ce n'est pas bon d'être présentatrice passé un certain âge. »
Radio, cinéma, théâtre, édition, chanson, journalisme, relations publiques, voilà à quoi rêvent les speakerines. Course à l'argent ? Pas toujours. A la célébrité ? Assurément. Même quand elles ont la chance d'Evelyne Dhéliat qui coproduit « La maison de TF 1 » (samedi, TF 1, 11 heures à 13 heures), de Fabienne Egal qui anime ‘Les pieds au mur » (mercredi, TF 1, 15 h 55 à 18 h 25) ou de Dorothée qui présente « Récré A 2 » (mercredi, A2, 15 h 05 à 17 h 10), elles vont vendre ailleurs leurs talents.
La tête sur les épaules, opportuniste avec le sourire, la génération montante joue cartes sur table. « La télévision, c'est un excellent tremplin pour acquérir de l'assurance et des relations », commente Élisabeth Tordjman, qui ne manque pas de sex-appeal pour convaincre. Après avoir joué les aviatrices pour Claude Chebel, à France-Inter, Patricia Lesieur, qui cultive une certaine ressemblance avec Catherine Deneuve, reconnaît : « A la télévision, on a l'avantage d'être vue en permanence, ce qui provoque les occasions. Carole Varenne, qui ne rêve que de monter sur les planches pour y interpréter ses chansons, renchérit : « La télévision, ça permet d'élargir ses connaissances et ses relations, mais ça ne m'a pas encore grillé le cerveau. »
Dorothée cache un arrivisme forcené derrière un physique d'adolescente naïve. Après avoir tourné pour François Truffaut « L'Amour en fuite » et pour Robert Enrico « Pile ou Face », elle se lance à fond dans la chanson, managée par un fou de marketing, Jean-Luc Azoulay.
Les anciennes qui n'ont pas cessé de cumuler les activités les plus diverses marquent plus de réserve. Évelyne Leclerc résout aisément le problème du pluralisme : « Faire de la radio, des interviews, des reportages, c'est le même métier que celui d'animatrice. » Denise Fabre, ravie d'avoir fait la une de Paris-Match ou de Jours de France, après avoir interviewé pendant trois ans, sur Europe 1, des hommes politiques et des artistes, présenté le samedi après-midi de TF 1, écrit pour France-Soir, enregistré un disque pour le Mundial, fondé le Club international des présentateurs de télévision et publié deux guides pratiques, déclare, le plus calmement du monde : « C'est une erreur et c'est malhonnête de se servir de ce métier comme d'un tremplin pour autre chose. »
Fabienne Egal lui répond avec son franc-parler : « Une speakerine, c'est commercial, ça se vend. Il faut savoir se servir de toutes les occasions qui se présentent ou les provoquer pour ne pas finir avec... l'accordéon, dit-elle, avec un clin d'œil, pour une émission coproduite par une speakerine des années soixante » !
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Motus et bouches cousues
Derrière leurs sourires de commande, nos charmantes speakerines sont âpres au gain. Mais, par crainte des jalousies et des critiques, Impossible de savoir qui gagne quoi. Pas de grille de salaires et des contrats variables, à la tête du client. Ces rétributions confidentielles et Individuelles qui oscitant, en fait, entre 10 000 et 15 000 F, dépendent des primes (coiffure at habillement), des tarifs de jour et de nuit, du nombre d'heures de passage à l'antenne, des cumuls d'émissions et... de l'ancienneté.