Couettes et petites socquettes
14 octobre 1987
« Vitamine », Zappe, zappeur », « Salut les petits loups », « Vitamine », « Croque-vacances » ont disparu de la grille des programmes de TF 1. Désormais toutes les émissions-jeunesse de la chaîne portent le label Dorothée.
C'EST un peu triste, le 50 de l'avenue du Président-Wilson à La Plaine-Saint-Denis. Un dédale de rues, des entrepôts, des camions qui chargent ou déchargent, pas de piétons. On s'y perd un peu. On finit tout de même par trouver le bâtiment 233, celui des Studios de France. Et là, le studio 7. Sept cents mètres carrés de plateau, 300 mètres carrés de bureaux : c'est le royaume de Dorothée et de AB Productions, la société avec laquelle elle travaille et qui fournit désormais à TF1 les six cents heures de programmes pour la jeunesse. La maîtresse des lieux n'est pas encore là...
Elle arrive quelques minutes plus tard, avec son allure d'adolescente qui ne veut pas grandir et ce sourire qui lui fait plisser les yeux et le nez. Avec sa queue de cheval, mais sans fard. Elle ne se maquille jamais la veille des journées de plateau, pour protéger son épiderme. « Rester des heures sous les spots abîme la peau », explique-t-elle. Et c'est vrai que le look couettes-petites socquettes ne souffre pas la moindre ride.
On est mardi, il va falloir faire la mise en place, répéter, bref s'assurer que tout est prêt pour demain mercredi, le grand jour du direct (trois heures le matin, trois heures l'après-midi). Hier, c'était la préparation des émissions de la semaine ; jeudi, ce sera le tournage de « Pas de pitié pour les croissants » (diffusé le dimanche matin) ; vendredi, encore le tournage de clips et de sketches. Le samedi et le dimanche, elle les consacre à la chanson et à l'enregistrement de ses disques. Il n'y a pas vraiment de temps mort dans son emploi du temps. Depuis qu'elle a quitté Antenne 2, parce qu'elle avait « l'impression de tourner en rond », après neuf ans de service à « Récré A 2 », Mme la conseillère de la direction de TF1 pour la jeunesse n'arrête pas. Forcément, elle est partout ! A elle seule ou presque - n'oublions pas son équipe : Jacky, Corbier, Ariane, Patrick Simpson-Jones, elle remplace « La vie des Botes », « Salut les petits loups », « Vitamine », « Zappe, zappeur », «Le mini-mag». Et bientôt il lui faudra aussi remplacer « Croque-vacances », puisque Claude Pierrard, qui s'occupait de cette émission, vient de remettre sa démission.
Dans un premier temps, il avait pensé pouvoir préserver les deux cent cinquante heures qu'il gérait une centaine de jours par an, pendant les congés scolaires, AB Productions ayant accepté de les reprendre. Mais très vite la collaboration s'est révélée difficile : « On m'imposait des dessins animés que je n'aurais pas choisis ; on m'imposait toute l'équipe de Dorothée; je ne pouvais utiliser les studios que lorsque Dorothée n'y était pas, c'est-à-dire rarement, et il m'était quasiment impossible d'avoir mes propres décors. Je devenais un simple exécutant. »
Claude Pierrard a derrière lui vingt-deux ans de télévision, dont douze à TF 1, où il était entré en 1975 pour faire le journal de 13 heures avec Mourousi et Denisot. C'est lui qui a créé « Les infos », le premier journal télévisé pour enfants. Il part sans amertume, mais regrette que TF 1 ait vendu son unité de programme jeunesse à une société privée. Ce faisant, la chaîne a, selon lui, sacrifié la qualité et la création sur l'autel du show-biz. "Croque-vacances » marchait bien pourtant (12 % d'audience environ), et les deux marionnettes Isidore et Clémentine avaient aussi leurs fans. Pendant sept ans, Claude Pierrard s'est efforcé d'offrir au jeune public des distractions « intelligentes », accordant une large place aux reportages de « grande découverte » ; à des séries d'initiation (à la voile ou encore à la télévision avec «Croque-télé », une séquence qui montrait comment se fabrique un feuilleton, un journal); au bricolage « pour inciter les enfants à faire autre chose que regarder passivement le petit écran » cette
rubrique lui valait trois mille lettres par jour en moyenne. Il choisissait avec soin dessins animés et feuilletons, écartant ceux qu'il jugeait violents. Est-ce un crime de préférer « Caliméro » à « Goldorak », « Alice au pays des merveilles » à « Bioman » ?
On ne réussira pas à savoir ce que pense réellement Dorothée du désaccord survenu entre Claude Pierrard et TF1 : « Je crois qu'il va retourner à l'information », dit-elle ingénument. On ne saura rien non plus du coût de ses émissions ou de leur audience. « Je n'aime pas les chiffres, je ne les retiens pas. » Son Audimat à elle, ce sont les sacs postaux qui s'entassent dans le bureau qui précède sa loge. On en apprendra davantage en revanche sur ses projets des émissions du mercredi en province, un grand show de Noël sur TF1, un nouveau Zénith en 1988 - et sur ses objectifs : « Divertir, instaurer une ambiance, une humeur », et faire participer le plus grand nombre avec des jeux. Son intention n'est pas de jouer les éducateurs. A chacun son rôle : « Les enfants sont à l'école toute la journée avec des enseignants qui font très bien leur métier. » Et quand, poussé par une curiosité un peu maligne, on lui demandera, pour finir, si elle pense pouvoir jouer de la queue de cheval encore longtemps, si elle ne craint pas à la longue de se lasser ou de lasser son public, elle répondra : « Je ne pense jamais à demain. » La nouvelle idole des jeunes de la Une a décidément une heureuse nature !
NADINE AVELANGE.