Dans son ombre, un homme a fait d'elle une star
France Dimanche - 6 juin 1988
Sacrée Dorothée ! C'est à croire que sa devise est "Toujours plus, toujours mieux" ! Elle n'arrête pas ! Tous les après-midi, sur TF1, elle distrait et amuse les enfants. Tous les mercredis et les dimanches matin, elle leur consacre deux heures d'émissions. Mais visiblement, ça ne lui suffit pas : maintenant, on peut aussi la voir tous les autres jours, en direct, à 7h30, dans "Club Dorothée matin".
Et ce n'est pas tout, en plus de la télévision, Dorothée ne cesse d'enregistrer des disques ! Leur particularité ? Ils se vendent tous à des milliers d'exemplaires. Souvenez-vous de "Rox et Rouky", "Hou ! La menteuse", "Les Schtroumpfs", que des titres qui ont remporté des récompenses fabuleuses : des disques d'or et des disques de platine. Et on peut parier que le dernier, "Attention danger !", ne dérogera pas à la règle.
Dorothée trouve également le temps de créer des comédies musicales qu'elle présente en tournée un peu partout en France et qui, bien évidemment, remportent un considérable succès.
Croyez-vous que, après tout cela, elle va prendre le temps de souffler un peu ? Eh bien non, elle vient de se lancer dans un nouveau défi : en novembre prochain, elle chantera pendant six semaines dans l'une des plus grandes salles de Paris : le Zénith !
Plus de doute possible : l'idole des enfants est devenue une star. Grâce à son talent et à son obstination, bien sûr, mais pas seulement. Dans l'ombre de Dorothée, il y a un homme qui a fait sa gloire. Un homme, qui, depuis neuf ans, ne la quitte pas.
Sans lui, c'est vrai, Dorothée n'aurait peut-être jamais osé chanter, enregistrer des disques, se produire sur scène. Sans lui, elle ne serait sans doute jamais devenue l'idole des enfants. C'est lui qui lui a insufflé la force de se battre, de se surpasser.
Mais le plus étonnant dans leur rencontre, c'est qu'ils la doivent à une grave maladie ! Oui, si cet homme n'avait pas été cloué au lit à cause d'une hépatite virale, leurs destins ne se seraient jamais croisés !
Pourtant, en ce beau mais triste jour ensoleillé du mois de mai 1979, cet homme providentiel est bien loin de pouvoir s'imaginer que sa vie va bientôt être illuminée par la gaieté de Dorothée ! Fiévreux, incapable de se tenir debout, il est morose et peste contre cette maudite maladie. Jusqu'au moment où, pour se changer les idées, il a ce réflexe bien banal : il allume la télévision. Le hasard veut qu'il tombe sur "Récré A2", l'émission de Dorothée.
Et là, il tombe littéralement sous le charme de cette jeune et pétillante animatrice. Il admire sa grâce, sa "pêche", son entrain. "Cette fille, se dit-il alors, elle est vraiment formidable !"
Et devinez ce qu'il fait ? Il prend son téléphone et il appelle Dorothée. Carrément !
"Voulez-vous travailler avec moi ?" lui demande-t-il. Car cet homme n'était pas un simple admirateur : il n'était autre que Jean-Luc Azoulay, l'ex-manager de Sylvie Vartan, un imprésario très important dans le monde du show-biz ! Il lui a suffi de voir Dorothée sur son petit écran pour que, aussitôt, un tilt se produise dans sa tête. Avec son regard de professionnel avisé, il a tout de suite deviné que cette fille, avec son minois mutin, son dynamisme et son rien d'espièglerie, était faite pour chanter. Voilà pourquoi, le plus simplement du monde, il lui a dit au téléphone de venir passer une audition : "Il m'a demandé de répéter sur trois ou quatre notes "Dorothée je t'aime", qui est devenue la chanson de mon premier disque, explique-t-elle. Et j'ai signé mon premier contrat".
Dès lors, Dorothée et Jean-Luc Azoulay ne se sont plus quittés. Et cela depuis neuf ans ! Jour après jour, dans son ombre, avec la complicité de Denis Bortot, le directeur général d'AB Productions, il a façonné Dorothée. "Sans lui, avoue-t-elle, je ne pourrais pas tout mener de front : les disques, les tournées et la télévision."
Car Jean-Luc Azoulay veille à tout, pense à tout, prévoit tout. Résultat : tout ce qu'entreprend la star des enfants se solde par un véritable triomphe !
Quelle belle ascension pour Dorothée ! Comme il semble loin le temps où, lycéenne timide, elle était complexée par sa maigreur !
Maigre, ça, on peut dire qu'elle l'était ! Et bien plus qu'aujourd'hui puisqu'elle était carrément anorexique. Tous les parents qui ont des enfants atteints par cette terrible maladie savent de quel calvaire il s'agit : l'enfant refuse toute alimentation. Si on le force à manger, il vomit. Il y a même des cas d'anorexie si graves qu'ils peuvent conduire à la mort par défaut de nourriture. Ce ne fut heureusement pas le cas de Dorothée !
Mais elle avoue tout de même : "Je suis née anorexique, j'ai grandi ainsi et je continue de l'être. Quand j'étais petite, je ne mangeais pas parce que cela m'ennuyait, et d'ailleurs ça m'ennuie toujours. Enfant, cela faisait le désespoir de ma mère. Comme à table je refusais de manger, elle m'envoyait finir mon assiette à la cuisine. Hélas ! Cela ne m'ouvrait pas pour autant l'appétit.
Un jour j'ai même vidé mon assiette derrière le radiateur ! Bien sûr j'ai été grondée par Maman qui se désolait de voir que je mangeais si peu... Ensuite j'ai compris que c'était mieux de vider mon assiette dans la poubelle !"
On comprend pourquoi, à 35 ans, Dorothée est toujours si mince... ! Mais c'est une minceur qui n'a rien voir avec de la fragilité ou de la faiblesse. C'est bien ce qu'avait décelé Jacqueline Joubert, en 1970, lorsqu'elle a vu pour la première fois Dorothée dans un concours amateur de théâtre. Elle ne lui aurait pas confié l'animation des "Mercredis de la jeunesse", puis celle des "Visiteurs du mercredi", ni ensuite celle de "Récré A2", si elle n'avait pas flairé chez cette frêle jeune fille le dynamisme et la volonté nécessaires pour réussir.
D'ailleurs, c'est cette énergie mêlée de charme, cette volonté mêlée de gaieté, de spontanéité et de jeunesse qui ont séduit Jean-Luc Azoulay, l'homme qui a tout fait pour que nous soyons à notre tour séduits. Comme quoi, les hépatites virales peuvent avoir du bon !
Danielle BEAUR