Dessins animés : Trop, c’est trop !
Naître et grandir n°9 – Février 1988
Pendant un an, j'ai réussi à faire croire à mes filles, elles étaient encore petites, que nous ne pouvions pas chez nous capter la Cinquième chaîne... J'avais remarqué, chez des amis, que là le danger était encore plus grand d'être envahi, abruti par toutes ces séries et dessins animés, de qualité souvent douteuse. Mais mon stratagème n'a pas duré longtemps. La concurrence TF1 - Antenne 2, avec la surenchère qu'elle impliquait déjà des deux côtés (Récré A2 / Vitamine) ainsi que le transfert de leurs animateurs d'une chaîne à l'autre (Jacky sur la Une, puis Dorothée) a fini par lasser tout le monde et en premier lieu les enfants. Ils ne croient plus à la grande famille qu'on leur avait jusque-là présentée, heureuse, unie, travaillant dans la joie, pour le plaisir de leurs petits téléspectateurs. Résultat : Dorothée a été bannie et la Une boycottée. Claude Pierrard fut un peu regretté, quoique parfois sa bonhommie bavarde ennuyait nos écoliers en vacances. Les fidèles animateurs restés à Récré A2 (Charlotte et Marie) ont su conserver la sympathie des enfants mais s'ils leur apparaissent un peu comme des orphelins et les dessins animés qu'ils proposent les intéressent si peu qu'ils ont fini par être rejetés définitivement. Bien sûr, il y a FR3 et son traditionnel Disney Channel du samedi soir qui, bien que s'essoufflant un peu à la longue, reste précieux. Un bon point aussi pour « Il était une fois la vie », épopée du corps humain amusante et instructive sollicitant l'imagination et la réflexion. Notre fille n'est-elle pas venue à table un dimanche soir en disant : « Papa, qu'est-ce que c'est exactement les plaquettes ? ». Peu de dessins animés incitent ainsi les enfants à se poser des questions. La plupart du temps ils subissent devant l'écran, la morale et l'idéologie les plus plates (les Bisounours, Cathy la petite fermière, Princesse Sarah) voire les plus dangereuses avec apologie de la force et de la roublardise (Cobra, Jeanne et Serge, Cat's eyes...). La magie n'engendre le plus souvent que des monstres (Clémentine, Roboteck) et les sentiments ne fonctionnent que sur le mode de la culpabilité (Dans les Alpes avec Annette, Charlotte, Candy). Tout cela est distillé dès le matin avant le départ à l'école, sur la 5, qui n'a pas tardé à « récupérer » tous les déçus des Récré A2 et autres clubs de Dorothée. Sur cette chaîne les dessins animés se suivent et se ressemblent sans aucune présentation, sans fioritures, simplement interrompus par de nombreux spots publicitaires. Les enfants les « consomment » alors par habitude, sans passion, mais sans en être envahis non plus. Ils peuvent faire autre chose en même temps : Jouer, chahuter, déjeuner, goûter ou bricoler...
La Cinquième, autrefois spectre menaçant pour les parents soucieux de la bonne éducation et de la culture de leurs enfants, ne fait plus peur à personne. Il n'y a plus qu'elle mais elle est devenue parfaitement inoffensive tant elle présente un programme insipide. Les enfants ont souvent bon goût, par nature. Quand ils vont bien, les mauvais « spectacles » ne les émeuvent pas, ils s'en détournent d'eux-mêmes pour faire des choses plus amusantes. Il faut se demander alors pourquoi ils laissent branchée cette télé qui ne les fascine plus. Par habitude, par conformisme pour « se tenir au courant » ou bien parfois simplement par ennui ?
Il m'est arrivé d'apporter le déjeuner au lit à mes enfants qui, dans la pénombre du matin, avaient déjà « mis la 5 » sur leur petite télé portative. C'était au temps de « Princesse Sarah ». On voyait la pauvre Sarah se faire commander brutalement par une marâtre qui la forçait à rentrer le charbon en plein hiver, pieds nus ou presque. Les enfants avaient la larme à l'œil et tendaient d'un air distrait la main vers le plateau chargé de jus d'orange et de céréales que je leur apportais. Ma fille (7 ans) comme pour devancer une critique de ma part me dit alors : « Non, tu sais, c'est bien ce dessin animé, mais tu arrives toujours quand c'est un peu larmoyant, je me demande pourquoi ? ... » Moi aussi...
DANIELLE SASTRE