Dorothée…
Le Figaro – 15 février 1984
Un prénom qui fait boum dans le cœur des enfants, un sourire espiègle, une allure délurée et une gloire télévisuelle qui ne cesse de grandir. C'est Dorothée, de son vrai nom Frédérique Hoschde (ce qui explique le pseudonyme), devenue, avec Chantal Goya, la madone des divertissements enfantins. Les parents la voudraient pour fille, les enfants comme grande sœur. On ne dit pas si les plus grands la désirent comme petite amie. Image de marque oblige !
Cette jeune fille toute simple entourée d'une légende rose tendre façon guimauve est devenue une mini-star en quelques années. Sa chance - elle ne cesse de le reconnaître – ce fut Jacqueline Joubert qui la lui donna après l'avoir remarquée dans une représentation théâtrale de lycée. Une frimousse avenante et sympa en fit une animatrice sur TF 1, puis une speakerine sur Antenne 2. Le cinéma lui donna même deux rendez-vous inattendus avec Truffaut, qui, séduit par son côté fille sage, lui confia un petit rôle dans « L'Amour en fuite », et Robert Enrico qui la fit apparaître légèrement dévêtue dans « Pile ou face ». Mais le grand écran n'était pas vraiment son truc.
Pour devenir une actrice, il faut d'abord rencontrer son public ; or le sien, elle le rencontra avec « Récré A2 » et les enfants désœuvrés du mercredi. La fantaisie complice, la gentillesse communicative. Rien de tel pour séduire les enfants. Et Dorothée prit place dans leur univers entre Nounours et Goldorak.
Elle devient alors une « poupée » grandeur nature qui bouge, parle et amuse juste assez pour être mise sans danger entre toutes les mains et sous tous les yeux. Une sucrerie garantie sans colorants mais non sans saveur. Avec des rengaines comme : « Hou la menteuse » ou « Pour faire une chanson », elle est entrée sur la pointe des pieds dans les hit-parades par la porte étroite de la naïveté souriante et du gnangnan rassurant. Mais le succès est là, les enfants en redemandent. Ils ont leur Blanche-Neige, enfin accessible, leur Alice revenue de son pays des merveilles.
Elle chante, elle danse, elle joue la comédie... toujours dans le sourire et la décontraction. Résultat : ses « one woman shows » adaptés aux petits font un « malheur ». Sa dernière tournée d'été a attiré un million de spectateurs et cent cinquante mille Parisiens ont visité sa forêt enchantée installée au Champ-de-Mars. Côté disque, ce n'est pas mal non plus : quatre millions d'exemplaires vendus, deux disques d'or et cinq de platine. A la télévision, ses « Récré A2 » hebdomadaires et les « S.V.P. Disney » font leur plein de téléspectateurs. Alors ? Y-a-t-il un secret? Une explication tout au plus.
Si votre enfant devient insupportable ou sombre dans la neurasthénie (ce qui est plus rare), Dorothée est là pour s'en occuper. Symptôme d'une civilisation qui veut à tout prix organiser et encadrer chaque stade de la vie, elle est là pour l'enfant comme Drucker et Sabatier sont là pour les adultes. Chaque âge a ses faiblesses que la télévision se doit de canaliser et d'exploiter. Reconnaissons qu'avec Dorothée, elle a réussi un joli coup en construisant un rempart de charme devant le jouet électronique.
On chuchote que cette éternelle jeune fille a trente ans (déjà), qu'elle voudrait se marier, avoir un enfant. Mais ça ne peut pas être vrai. Son personnage est sans âge et sans réelle existence. Il est le reflet parfaitement fabriqué d'un désir enfantin qui ne peut pas toujours se satisfaire de la présence sans âme du dernier gadget à la mode.
Mais, bravo ! La poupée de chair qui s'agite sous le chapiteau ou dans la petite lucarne a su créer et entretenir l'illusion. Les mini-ordinateurs et les robots sophistiqués attendront encore un peu. Dorothée n'est pas au bout de sa dernière chanson ou de son ultime spectacle. On peut toujours rêver, non ? Et les enfants, c'est aussi fait pour ça.
Dominique BORDE.