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Dorothée ou la force du destin
Le Matin - 11 août 1980

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Dorothée est comme un petit roman à la mode. Elle ne pensait pas devenir un jour présentatrice à la télévision. C'est Jacqueline Joubert qui la remarqua, lors d'une représentation théâtrale donnée par son lycée. Le cinéma, elle n'y songeait pas davantage. Truffaut l'engagea par téléphone pour l'Amour en fuite. Puis ce fut au tour de Robert Enrico. Il lui offrit, sans faire d'essai, un premier rôle féminin, aux côtés de Philippe Noiret et Michel Serrault, dans Pile ou Face.
PETITE fille, Dorothée rêvait de devenir une grande actrice. Fred Astaire dormait tous les soirs dans son lit. Elle fonçait à toutes les comédies musicales projetées au cinéma et avait déjà vu quatre fois Singing' In The Rain. Mais par une marque de fierté et de caractère, elle enfouit, une fois adolescente, les ambitions encore molles et malléables de son enfance dans les régions inaccessibles de l'oubli.
Une page était tournée. Celle des illusions. Et lorsqu'elle s'inscrivit à ta faculté pour entreprendre une licence d'anglais, elle donna d'elle l'image parfaite de la jeune fille studieuse.
Ce n'était que « pour du beurre » qu'elle avait participé, peu de temps auparavant, en terminale, aux représentations théâtrales de son lycée. Et pourtant, déjà, Jacqueline Joubert l'y remarqua. Elle venait de commencer ses études à l'université lorsque l'ancienne speakerine lui proposa d'animer les premiers mercredis de la jeunesse sur TF1. Mais, bientôt, l'émission prend fin, et Dorothée connut le chômage, les animations de supermarchés et le secrétariat.
Un concours de présentatrice sur Antenne 2 l'extirpa du marasme des vaches maigres. Très vite, elle se bâtit une célébrité. La France des messieurs fut émue au plus profond par sa frimousse blondine et un plissement singulier du regard qu'elle effectuait volontiers et qui la faisait ressembler au plus charmant félin domestique que le monde animal ait jamais engendré. Et lorsqu'un jour, un journaliste s'enquit auprès d'elle de son intérêt pour le cinéma, elle lui rit au nez : y faire carrière était bien trop beau pour que ça lui arrive, pensa-t-elle tout haut. Deux ans plus tard, Truffaut l'appela. Il avait écrit pour elle un rôle sur mesure dans l'Amour en fuite. Les fées ne l'abandonnèrent pas. En mars dernier, Robert Enrico à son tour lui confia un rôle. Laurence Bertil, le premier personnage féminin de Pile ou Face. Elle n'a d'ailleurs pas tout à fait cessé d'être Laurence Bertil car, dit-elle, Laurence c'est un peu elle : une femme libre, indépendante, déterminée. Mais elle a vite retrouvé le mauvais caractère qui manquait au personnage de Pile ou Face et qu'elle revendique pour elle-même.
C'est donc avec son mauvais caractère qu'elle a réintégré aujourd'hui sa loge de présentatrice de la rue Cognacq-Jay. Un yaourt et une pêche à portée de la main, le pantalon défait « pour faciliter la digestion », elle peste contre le téléphone, « ce truc qui ne s'arrête jamais de sonner ». Elle joue l'impatience avec une malice toute féminine, affirme qu'elle ne cesse de dévaliser les magasins, mais qu'elle n'a jamais rien à se mettre, et touche du bois lorsqu'on lui parle de chance, en jurant qu'elle n'est pas superstitieuse. A vingt-cinq ans, Dorothée a l'aisance et les caprices de ceux dont la réussite est encore toute fraîche. Mais qu'importent ces fausses notes qui n'agacent que les autres, pourvu qu'on vive ardemment.
Marlène Amar

 

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