Dorothée refuse le pile ou face
Télé poche – 3 Septembre 1980
Elle ne dit pas adieu aux téléspectateurs d’Antenne 2. Dorothée veut seulement leur dire au-revoir, de temps en temps.
On aime ses grimaces, ses mimiques, ses regards en coin. Tout le monde aime Dorothée. Les petits, les grands, les papas, les mamans, tout le monde l'aime et Dorothée aime tout le monde. Comme c'est bien, comme c'est formidable!
Pourtant quand on connait un peu Dorothée et même si seulement on la devine, on voit bien qu'elle est le contraire de ce sourire béat et passe-partout, image de marque - image de masque - de la speakerine-plante verte, motif de décoration avant de devenir sujet de plaisanterie.
D'ailleurs ce sourire dont nous parlions à l'instant existe-t-il autre part que dans l'esprit des détracteurs de nos présentatrices? Elles ont toutes quelque talent plus ou moins caché, quelque don qui sommeille, quelque ambition qui attend légitimement son heure.
Le petit écran est une vitrine idéale. Réussir à y passer sa jolie - tête, est-ce un but ou un moyen?
La meilleure façon - en tout cas la plus élégante d'obtenir ce que l'on désire, ce n'est pas de le prendre d'assaut, c'est de faire en sorte qu'on vous l'offre. Question de caractère sans doute. C'est celui de Dorothée.
Un jour, Jacqueline Joubert lui offre d'animer « Récré A2 ». Réussi. Et puis elle présente le concours de speakerine à Antenne 2. Réussi. On lui propose de faire un disque « Dorothée au pays des chansons ». Réussi. François Truffaut, qui l'a vue plisser malicieusement ses yeux à sa fenêtre, a envie de lui donner un rôle – son premier au cinéma - dans l' » Amour en fuite ». Réussi. Enfin Robert Enrico l'a choisie pour incarner entre les monstres Noiret et Serrault le seul personnage féminin de « Pile ou face » - presque le seul avec Antoinette Moya qui fait une brève mais saisissante composition au début du film. Tout laisse à penser que c'est réussi.
Alors est-ce que Dorothée n'a qu'à ouvrir sa jolie bouche et montrer ses blanches quenottes de jeune louve pour que les grives se présentent à elle bien dodues et rôties à point? C'est une impression que Dorothée ne déteste peut-être pas donner d'elle-même. Mais elle est fausse. Dorothée est une fille qui travaille beaucoup. Ses annonces d'abord. Elle veut en savoir plus sur un sujet que ce qu'elle a à en dire et elle a bien raison. Elle veut savoir comment doivent se prononcer les mots étrangers qu'elle a à dire, ce qui semblerait aller sans dire - si l'on ose dire - mais n'est pas évident, c'est le moins qu'on puisse dire...
Elle continue à prendre des leçons de danse, de chant, de comédie. En un mot elle veut être prête.
- Oui mais alors, Dorothée, nous allons une fois de plus vous avancer une question que l'on vous a posée cent fois. Peut-être y répondrez-vous la cent-unième : Que préférez-vous ? Dans quelle voie avez-vous l'intention de poursuivre ?
Dorothée penche la tête, rit de son petit rire aigrelet pour dire :
- Je n'ai rien à répondre à cela. Je ne veux pas, je ne peux pas choisir. Tout m'intéresse. Les événements décideront pour moi. Pourtant ce n'est pas une attitude passive. Je suis réceptive. Et si j'exerce un choix c'est par élimination.
- Au fond c'est votre côté naturel et disponible qui, en plus de votre charme, sans doute incité Robert Enrico à vous demander d'interpréter Laurence Bourdil, personnage sympathique, ouvert, mais qui n'est pas dessiné avec une grande précision.
- C'est-à-dire que beaucoup de scènes ont été coupées, c'est peut-être pour cela que vous avez eu cette impression.
- On ne voit pas très bien pourquoi Laurence dans le film est une speakerine en dehors du fait que vous l'êtes.
- Je crois qu'on a gardé une scène où Laurence se regarde à l'écran tout en observant, au-delà du poste, la fenêtre d'en face. Cela a un intérêt pour le scénario.
- En effet. Et d'après la mimique que vous faites on dirait que vous n'aimez pas vous regarder à l'écran. Est-ce le cas en réalité ?
- Exactement. Je déteste. Mais heureusement je suis pratiquement toujours en direct, alors cette épreuve m'est épargnée.
« Dorothée au pays des chansons » était un disque. Bientôt les sons vont s’habiller d’images et le disque deviendra vidéocassette. La métamorphose est prévue pour Noël.
Dorothée toujours entre deux monstres. Dans la vie : télévision et cinéma. Dans « Pile ou face » le film de Rober Enrico : Michel Serrault et Philippe Noiret. Monstres non seulement sacrés mais attachants et passionnants, lorsqu’on a la chance de pouvoir les apprivoiser