Dorothée veut s’amuser avec les enfants
Humanité dimanche – 23 mars 1985
A partir du 27 mars, la grille des programmes d'Antenne 2 va s'étoffer le mercredi. Deux heures d'émission supplémentaires, le matin, en direction des enfants, animées, naturellement, par Dorothée. Et si Récréa 2 se retrouve amputé d'une heure l'après-midi, Dorothée gagne quand même une heure pour « s'amuser avec les gamins ».
Comme on peut l'imaginer, Dorothée est exactement à la ville ce qu'elle est au petit écran : espiègle, drôle, naturelle, toutes qualités qui en font, comme certains l'ont définie, la chérie des trois/douze ans ». Sa popularité auprès des gamins (« Pour moi, dit-elle, le mot gamin est un mot gentil, qui n'a pas un sens négatif. ») n'est pas à démontrer. Elle lui vaudra même l'honneur d'entrer à la fin du mois au musée Grévin.
Cette heure de travail supplémentaire, le mercredi, ne l'effraie nullement. « D'abord, je ne travaille pas : je m'amuse. Ensuite, ce sera différent. Ce qui est bien, c'est que je serai toute seule. Je ne me déguiserai pas, il n'y aura pas de gag, pas de thème, c'est ce que j'aurai envie de faire ce jour-là. Je vais pouvoir parler vraiment aux gamins, comme on faisait avant. Le matin, ce sera le côté intimiste de Récréa 2, et l'après-midi, tarte à la crème, la folie. » Dorothée est arrivée un peu par hasard à la télévision. Remarquée par Jacqueline Joubert, lors d'un concours de troupes de théâtre amateur, elle entre en 1973 à I'ORTF pour présenter les premiers Mercredi de la jeunesse ». Après l'éclatement des chaînes, on juge qu'elle n'est pas faite pour animer les émissions pour enfants, et, après un an de chômage, elle se présente avec succès au concours de speakerines. Elle a attrapé depuis longtemps le virus de la télévision. C'est une nouvelle fois Jacqueline Joubert qui la prend avec elle, quand elle est nommée responsable du service de la jeunesse sur Antenne 2, en 1978. Ensemble, avec une petite équipe, elles créent Récréa 2 avec trois bouts de ficelle ». Et depuis elle n'a jamais manqué le rendez-vous. En treize ans, Dorothée a pu se faire une grande idée du rôle qu'elle joue auprès des enfants. Passionnée, elle en parle avec beaucoup de fougue, et une grande lucidité. « C'est vrai que l'on fait un peu de la garderie. Mais on est un service public, et on est là pour aider les gens. Je sais qu'il y a des mamans qui sont contentes qu'il y ait Récréa 2, parce que ça leur permet de faire des choses qu'elles ne pourraient pas faire autrement. Mais j'ai posé la question aux enfants, à propos du mercredi matin. Et ils m'ont dit : c'est bien, parce que l'après-midi on va au judo, à la danse, au piano et on ne voyait pas l'émission. Mais il ne faut pas que ça empêche les enfants de rester avec les parents... De toute façon, un enfant ne regarde pas la télévision comme ça sans arrêt. Et ça, c'est bien... Il peut y avoir aussi le côté « la télévision qui peut vous empêcher d'avoir l'esprit créatif ». Mais, dans Récréa 2, on a une émission qui s'appelle Latulu et Lireli, qui est un concours à partir de livres. On a remarqué que les enfants lisaient de plus en plus, un peu grâce à ça peut-être. Et ils gagnent des livres, donc, ils les lisent, et ils réapprennent à lire. Il y a aussi Sido et Rémi, sur la musique classique, qui n'est vraiment pas ennuyeux et très éducatif, et aussi quelque chose sur l'actualité théâtrale pour les enfants. On a fait un jour un concours sur la poésie. La poésie en 1984... je me suis dit, on va se faire avoir. Mais on a reçu un nombre de lettres incroyable. J'étais contente= parce que je me suis dit : ils n'ont pas oublié ça. Le côté rêve, imagination. C'était mon angoisse numéro un... Nous nous sommes toujours dit que nous ne sommes pas là pour remplacer les éducateurs. Nous sommes là pour distraire les gamins, parce que ce n'est pas l'école. Mais quand on peut leur apprendre des petites choses qui peuvent ouvrir sur quelque chose, là on est content. Et les éducateurs s'emparent quelquefois de ce qu'on fait. J'ai reçu des dossiers énormes faits en classe. Récréa 2 fait maintenant partie du programme éducatif »
Une question se pose quand on voit apparaître Dorothée à la télévision jusqu'à quand fera-t-elle ce qu'elle fait ? On a pu la voir dans un film « Pile ou face », de Robert Enrico, avec Michel Serrault et Philippe Noiret. Le cinéma l'intéresse, mais il n'est pas question pour elle de songer à une reconversion. Ce qui la passionne, c'est la télévision, et elle souhaite faire durer ce plaisir le plus longtemps possible. Cela dit, elle ne veut pas non plus devenir une Mamie Goya ».
« Je sais qu'il y a un moment où on sait que l'on doit s'arrêter, ou ne pas s'arrêter. J'essaie de ne jamais refaire les mêmes choses. Chaque fois, j'essaie de monter un peu plus. Quand je m'apercevrai que je ne suis plus sincère, j'arrêterai net. Mais si ça continue, s'il n'y a pas de problème de sincérité, de crédibilité, quitte à m'arrêter un moment, après avoir été la copine, je veux bien devenir la grand-mère des enfants. Mais je suis un peu comme l'autruche. Je subis l'événement. Je ne le provoque pas. »
Propos recueillis par Gérard RAFFORT