Jacqueline Joubert : « Tous les enfants sont mes enfants »
Télé 7 jours – 30 mars 1985
Celle qui fut l'une des premières speakerines de la télévision ne manque jamais une occasion d'aller chercher sa petite-fille, Emma, à la sortie de l'école pour lui offrir des pâtisseries et des livres. A tous les autres, devenue la bonne fée de « Récré A 2 », elle donne de merveilleuses émissions.
Il est quatre heures et demie de l'après-midi et Jacqueline Joubert est venue chercher Emma, sa petite-fille, à la sortie de l'école. Elle est très fière Emma qui a huit ans. Ah ! si ses camarades savaient qu'ils ont devant eux le maître d'œuvre de « Récré A 2 », l'émission préférée - les sondages d'audience le prouvent - de nos chers bambins, qui vient de leur offrir le plus beau des cadeaux : une télé du matin rien que pour eux, chaque mercredi.
« Pour s'adresser aux enfants, dit Jacqueline, il ne faut surtout pas adopter un
langage spécial et se mettre à bêtifier. La seule différence avec leurs aînés, c'est qu'ils n'ont pas de références. A nous de leur en donner ». Et de se souvenir de son expérience de mère de famille : « Je n'avais qu'un fils, Antoine - il a maintenant trente et un ans et vient de quitter Canal Plus, mais comme il avait toute une bande de copains, la maison était toujours pleine d'enfants et le réfrigérateur bourré de jus de fruits. Désormais, j'ai Emma. J'adore les enfants, ils sont directs, spontanés, curieux de tout, ils foncent sans se soucier des barrières. Tous les enfants sont mes enfants. Avec eux, je n'ai jamais été déçue. »
Anniversaires et fêtes
Jacqueline adore les enfants, ça se voit, ça se comprend quand on rencontre, et c'est sans doute le secret du succès de « Récré A 2 » : « Depuis 1977, je me suis avant tout efforcée d'informer, distraire et cultiver. Avec mon équipe de « Récré A 2 », nous ne sommes pas là pour donner des leçons aux petits - notre public, ce sont les enfants jusqu'à douze ans -, mais pour leur présenter des spectacles, tout en leur livrant de petites informations sur la musique, la peinture, le cinéma et les livres. La lecture, c'est une chose à laquelle je tiens beaucoup. A huit ans, ma petite-fille Emma lit « Le Vieil Homme et la Mer », d'Hemingway. Dans ma famille, il n'y a jamais eu d'interdit. A Neuilly, aux portes de Paris où j'habite depuis trente et un ans, il y a un des meilleurs libraires de France, M. Pain. Il connaît tout, s'intéresse à tout. Quand Antoine était petit, je lui avais ouvert un compte chez lui. Il pouvait choisir ce qu'il voulait, étant entendu que les livres chers étaient réservés aux anniversaires ou aux fêtes. »
Les enfants, Jacqueline leur consacre vraiment sa vie et ne cesse de dénicher ce qui pourra leur plaire. Elle passe ses journées à visionner des séries, des dessins animés et recevoir des réalisateurs. Un jour, le dessinateur Topor vient lui présenter un épisode de « Téléchat ». Séduite par Groucha, Lola et leurs complices, elle décide qu'A 2 coproduira la série. Elle avait du flair puisque « Téléchat » a reçu, cette année, la médaille d'argent au Festival de New
York et a été nominée – ce qui est rare pour une production francophone – aux Emmy Awards.
Et puis comment parler
de « Récré A 2 » sans parler de Dorothée, la grande amie des enfants, qui a déjà
vendu plus de huit millions de disques. Dorothée est encore une découverte de Jacqueline Joubert : « Je l'ai vue pour la première fois il y a douze ans, en 1973. Elle s'appelait Frédérique et elle était venue faire un essai chez Christophe Izard alors qu'elle préparait une licence d'anglais. Je suis tombée en extase. Ses cheveux formaient un casque noir, elle avait dix kilos de plus et, surtout, une qualité : elle ne savait rien faire au départ, mais elle parlait juste. C'est à ce moment-là que je l'ai baptisée Dorothée. Puis je l'ai perdue de vue jusqu'au jour où, en 1975, une jeune femme ravissante et méconnaissable entre dans mon bureau. C'était ma Dorothée qui, après avoir repris son vrai nom et s'être trompée de voie, me revenait sous les traits d'une cover-girl, ultra maquillée et des cheveux courts. Je lui ai dit : « Tu vas commencer par aller te débarbouiller, puis tu vas apprendre à chanter et à travailler et tu reviendras me voir ». Ce qu'elle a fait en 1978. Dorothée a une façon particulière de s'adresser aux enfants, elle sait les faire rêver et si bien se déguiser. Je considère Dorothée comme ma fille puisque je n'ai qu'un fils. Elle est la grande amie d'Emma. La télévision est une grande famille », ajoute celle qui en fut la première speakerine.
Il y a trente-cinq ans, le 3 mai 1949, cette fine et blonde comédienne de vingt-huit ans aux yeux verts fut choisie parmi 199 candidates pour avoir su présenter sans trébucher les noms des artistes composant la distribution d'une émission imaginaire : il y avait Ludmila Tcherina, Borah Minevitch, Pierre Tchernia, Rimsky Korsakov, Tchaikovski, Moussorgsky. Mais elle ne se contenta bientôt plus de présenter les émissions des autres. Et proposa ses propres rendez-vous. C'est au cours de l'un d'eux qu'elle rencontre Georges de Caunes qu'elle épouse en 1953 ; depuis, elle a divorcé.
« Devenue productrice, c'est la première fois où j'ai eu vraiment peur. Pour moi, c'était un changement radical de statut. Je passais du rôle de saltimbanque à celui de géomètre. Moi qui avais toujours couru après un sou pour en faire vingt, pour boucler mes émissions, il allait falloir que je trouve dix-neuf sous pour les autres. Je ne regrette jamais rien même si, petite, je voulais devenir danseuse et entrer à l'Opéra. »
Tapisserie et tricot
Jacqueline Joubert est toujours aussi rayonnante, aussi souriante que quand elle présentait « La Joie de vivre ». Emma, sa petite- fille, l'appelle « Grand-mère Chic ». « Elle m'a dit l'autre jour qu'elle était très contente parce qu'elle avait le même petit nez que moi. Nous nous entendons très bien. Dans ma maison de Neuilly, où j'habite avec ma mère qui a maintenant quatre-vingt-quinze ans, j'ai réaménagé la chambre d'Antoine pour Emma. Emma vient quand elle le désire. C'est une petite fille merveilleuse. Elle lit, elle dessine, je lui ai appris à faire de la tapisserie, à tricoter, tout l'enchante. Elle est heureuse parce que je l'ai inscrite au Racing où je joue au tennis dès que je le peux. Elle apprécie beaucoup mes poulets grillés et, comme son père, Antoine, mon « crabe express » du crabe avec une sauce mi-mayonnaise, mi-ketchup, servie dans un verre à pied. Antoine, petit, ne dînait pas avec nous et n'avait donc pas droit au verre à pied. Maintenant, je me rattrape... »
Isabelle CAUCHOIS
Photo Michel Croizard
"Le gâteau préféré d'Emma, c'est le Mont Blanc », dit Jacqueline Joubert, photographiée (à gauche) avec son fils, Antoine de Caunes, en 1960. Il avait six ans...
LE RETOUR D'ALBATOR
Parmi les nouvelles séries proposées par les enfants d’« Albator » et une nouvelle série de gags de Buster Keaton. Mais ce n'est qu'à partir de septembre que seront diffusées les grandes séries coproduites par A2 - que Jacqueline Joubert a mises sur pied : « M. Démo » ou l'initiation à l'instruction civique sur le Shadoks, Jacques Rouxel ; « Les Voyages mode humoristique, réalisé par le père des de l'Albatros », une série sur l'histoire des grands voiliers ; « Les Mondes engloutis », une série française de dessins animés racontant l'histoire d'un peuple enfoui sous la mer et menacé par un catacylsme. Pour septembre encore, une série de dix émissions « L'École en bateau » ou le journal de bord de deux jeunes professeurs et de leur douzaine d'élèves embarqués par un tour de Méditerranée. Réalisation signée Georges de Caunes...