Jacques Rouveyrollis - Éclairagiste
Jacques Rouveyrollis est un éclairagiste majeur de la scène française. En 2022, il écrit le livre "Mes années lumières" aux éditions L'Archipel. Voici le chapitre consacré à Dorothée.
Jean-Luc Azoulay n'était plus le dévoué assistant de Sylvie Vartan. Avec son copain Berda (retenez son nom et l'initiale « B » de son nom, ça m'évitera de vous expliquer l'origine d'AB Productions), les voilà tous deux à Cannes, à un Midem (Marché international du disque et de l'édition musicale), plutôt désargentés. Ils finissent une pizza aux fruits de mer. La dernière moule est pour Jean-Luc. Elle va le conduire à une longue hospitalisation, pour une hépatite carabinée. Il ne va pas pouvoir en vouloir à cette moule fatidique, il va même devoir la remercier. C'est grâce à elle que, regardant la télé de son lit d'hôpital, il va repérer une présentatrice. Elle s'appelle Dorothée. La maladie n'a pas entamé le flair de Jean-Luc. Il décide de la faire chanter. Le succès est immédiat. Le bureau d'AB Productions, à Saint-Denis, est minuscule. Il grandira. C'est l'histoire d'une réussite exemplaire. Le perfectionniste trouve en Dorothée son écho. Elle est inépuisable. En même temps que les concerts, elle anime les vingt-cinq heures d'antenne par semaine du Club Dorothée. J'essaie de la décharger, au moyen d'une doublure lumière. « Pourquoi ? Je sais le faire. C'était mon premier job à la télé. » Simplicité, quand tu nous tiens.
Dorothée en profite pour faire un peu de pédagogie dans son émission. Elle m'y invite pour parler de mon travail. J'ai du mal à répondre aux questions des enfants et à leur expliquer « comment on fait les lumières d'un show ». C'est le génial caricaturiste Cabu, présent sur le plateau, qui va me sauver en me tendant une boîte de crayons de couleur. «Essaie avec ça... » Il avait raison, tout devint simple. J'ai bien des fois, depuis, employé cette méthode.
Les Zénith successifs se révèlent vite trop petits pour les foules de jeunes qui s'y pressent. Nous voici à Bercy. Les moyens techniques suivent. Je n'avais encore jamais eu autant de consoles lumière différentes devant moi, une par type d'appareil, du traditionnel jusqu'aux Telescan, Vari-Lite, Coemar, laser et vidéo.
Les enfants sont ébahis de voir Dorothée arriver à dos d'éléphant. On ne sait plus si c'est elle qui déchaîne le public ou le public qui la déchaîne. Les enfants n'applaudissent pas, on ne leur a pas appris à faire ça, ils gesticulent en hurlant. Leur bonheur me met les larmes aux yeux. Emmenés par leurs propres enfants, les stars Renaud, Hallyday sont dans la salle. Et ma star à moi, ma princesse aux petites dents du bonheur, ma fille, Perrine.
À la fin du spectacle, nous parions entre nous sur le nombre de rappels. Le pronostic du gagnant se situe entre dix et seize. Dorothée n'a jamais oublié sur le plateau un seul des innombrables bouquets que les enfants lui offrirent. Les fleuristes autour de Bercy doivent se souvenir de cette période faste pour eux. Les mères et grand-mères à la recherche, dans la foule, de bambins qui leur avaient échappé, ce n'était pas le moins émouvant. À l'école, j'ai toujours préféré la récréation. Là, je suis particulièrement gâté. Azoulay, souvent près de
moi en régie (il adore ça), la chemise éternellement un peu sortie du pantalon, s'émeut avec moi devant le spectacle qu'il a provoqué...
Je m'amuse en pensant que, pendant ce temps-là, au Châtelet, Barbara continue à diffuser dans tout le théâtre le son nasillard du pin's sonore égrenant interminablement « Je m'appelle Dorothée » !