Dorothée : "Je rêve de deux enfants"
Télé 7 Jours - 29 Décembre 1990
Nous avons choisi Noël et les fêtes de fin d'année, le moment où elle est, plus que jamais, à la une de la Une. Pour oublier un peu la star de télévision et dialoguer avec une femme de 37 ans. Bien que très entourée, et surtout de beaucoup d'enfants, il lui manque la tendresse de ceux nés de sa chair. Pour la première fois, elle ouvre la porte de son cœur, mais aussi de son nouvel appartement.
"Bonjour Dorothée ! » Une pirouette et elle nous invite, non pas dans le décor délirant d'une de ses émissions, mais dans son tout nouvel appartement, au cœur du XVlle
arrondissement à Paris. Elle voulait un dernier étage avec terrasse et après avoir visité des dizaines et des dizaines d'appartements - malgré son emploi du temps de femme pressée - elle a eu le coup de foudre pour ce duplex, en réalité un rez-de-chaussée sans
même un balcon... Le refuge de Dorothée, plus solitaire qu'on ne le croit, et si mal connue, malgré ses apparitions répétées. Les critiques ne l'épargnent pas. Tantôt c'est un pamphlet royal qui s'en prend à ses dessins animés et à la violence de leurs héros, tantôt l'enquête d'un mensuel de consommation. Pourtant, ils sont toujours aussi nombreux à la regarder. Des enfants bien sûr, des adolescents, mais aussi des parents, des grands-parents... qui lui écrivent pour la remercier. Les lettres existent, en grand nombre. Et ce n'est pas Dorothée qui se les écrit elle-même ! Elle a même réussi à créer autour d'elle une véritable « famille » avec Jacky, Corbier, Ariane et Les Musclés. En nous ouvrant toute grande, pour la première fois, les portes de son nouveau refuge, mais aussi celles de son cœur, Dorothée n'esquive aucune question.
Vous ne vivez que pour les enfants, pas seulement au moment des fêtes, et vous n'avez pas d'enfants. Vous avez 37 ans depuis le 14 juillet.
Je rêve d'avoir des enfants. Deux, si c'est possible, mais plus tard... Lorsque je vois les images de bébés orphelins, de Roumanie ou d'autres pays, je suis très tentée par l'adoption, et puis la raison l'emporte. Ces enfants sont déjà traumatisés par l'abandon maternel. Plus que d'autres, ils ont besoin d'une présence constante que je ne peux leur offrir. J'ai une amie qui a adopté l'un de ces enfants. Par elle, je sais combien l'adaptation est difficile. Entre mes tournées et mes heures de studio, ce ne serait pas raisonnable de prendre une telle responsabilité.
Depuis des années vous vous rendez, avec votre équipe, au chevet des petits malades auxquels vous offrez de nombreux cadeaux.
Au début, on se contentait d'agir sans en parler. C'était tout à fait normal. Mais cela s'est ébruité car on ne passe pas inaperçus ! Et cela demande une grande organisation, tant de notre part que de celle des docteurs qui s'occupent de ces enfants hospitalisés et donnent beaucoup de leur temps pour cette fête. Nous offrons des jouets, mais aussi des postes de télévision. Nous faisons beaucoup d'heureux.
Pourquoi les enfants ont-ils tant d'amour de tendresse pour vous ?
Je suis totalement à l'écoute de leurs désirs. Les enfants nous donnent sans cesse des idées et des avis. Avec près de 5 000 lettres par jour, ils dirigent, à leur façon, nos émissions. Ce sont eux les patrons. Lorsque je choisis des feuilletons pour le « Club Dorothée », je me fie à mes intuitions. Je privilégie ce qui me touche... mais ensuite ce sont les enfants qui jugent, et d'après leur courrier je sais immédiatement ce que je dois déprogrammer ou conserver.
Et les années passent... Pour garder cette frimousse qui plaît tant aux enfants, auriez-vous recours à la chirurgie esthétique ?
Ça jamais ! J'ai bien trop peur, mais je ne songerai pas à le reprocher aux autres. Si une femme se sent mieux après un lifting, c'est aussi bien qu'une psychanalyse. J'ai vu des filles changer de nez, et dont le caractère s'était nettement amélioré après. A mes débuts, on me l'avait proposé. Bon d'accord, mon nez - qu'apprécient tant les caricaturistes – est un peu long, mais j'ai préféré le garder. Je craignais de ne plus me reconnaître. Lorsque je vois ma mère et ma grand-mère, je me sens tout à fait rassurée sur l'avenir de mon physique et de mes rides futures.
C'est vrai que Dorothée ne semble pas vieillir, comme si les émissions enfantines donnaient l'éternelle jeunesse. Il en est de même aux États-Unis, en Angleterre où les animatrices, comme elle, demeurent à l'antenne très très longtemps...
Vous soignez, malgré tout, votre peau.
Non, pas vraiment. En dehors des studios, je ne me maquille jamais. Sinon je me démaquille soigneusement et je mets une bonne crème. Je ne vais jamais dans les instituts de beauté. Je n'aurai pas la patience de subir une heure de traitement. Je me souviens, lorsque j'avais 15 ans, avoir lu dans un journal des conseils pour avoir un joli teint. J'ai conscieusement étalé sur mon visage des rondelles de concombre. Ce n'est pas facile, ça glisse. Lorsque mon père est entré dans ma chambre, il m'a dit d'un ton moqueur : « La cuisine n'est pas ici ! ». Quant aux parfums, j'en change tous les jours.
Dans chaque pièce de cet immense appartement, un poste de télévision. Des grands, des petits... On se croirait dans un studio ! C'est une déformation professionnelle ?
Pire que cela. Je suis téléphage: Je regarde tout : films, feuilletons, reportages... tout sauf les débats politiques. Je suis une fidèle de la 5, surtout pour les séries. Lorsque je rentre tard le soir, c'est plus facile à prendre en route et moins long qu'un film qui m'obligerait, même fatiguée, à rester éveillée trop longtemps, car je vais jusqu'au bout, je ris aux larmes lorsque c'est comique et je pleure à gros sanglots lorsque c'est dramatique. Je suis très bon public. J'aime aussi beaucoup le feuilleton de M6 « Madame est servie ».
Quels sont vos héros favoris ?
En ce moment, c'est McGyver, sur Antenne 2. Lorsque j'étais petite, c'était, dans un autre genre, Fred Astaire. Il y a quelques années, j'ai failli le rencontrer. Le rendez-vous était pris, un télex devait confirmer l'heure, je l'ai malheureusement reçu trop tard. J'en aurais hurlé de rage. Oh ! Puis de toute façon, je n'aurais pas su quoi lui dire. Je suis si timide que je n'aurais fait que bafouiller quelques mots.
Vous avez déjà reçu des propositions de chaînes américaines...
On me proposait de devenir une Dorothée américaine, sans rien changer. Cela ne m'a pas tentée. Et puis, même si cela m'intéressait, je refuserais ! Je ne peux pas vivre ailleurs qu'en France.
En revanche, vous allez souvent en Chine.
Là-bas, c'est différent, je chante pour un public d'adultes. J'ai été l'invitée d'honneur, cet automne, du Festival international de la télévision de Shangaï. Un véritable événement pour eux, et pour moi surtout. J'ai donné quatre représentations devant plus de 80 000 personnes et, le 10 novembre, jour de la cérémonie d'ouverture du Festival, mon spectacle, retransmis à la télévision chinoise, a été vu par 650 millions de téléspectateurs. C'était fou! Pour eux, je suis « Dorothée Rock ». j’y retourne, en mai 91, pour une tournée. Shangai, Pékin et Canton avec Les Musclés !
Vous n'avez jamais le trac?
Ni plus ni moins. Avant tout spectacle, comme toujours, je m'enferme dans ma loge, seule. Je marche de long en large, je respire longuement et, au bout d'un moment, je sors rejoindre l'équipe. D'un seul coup, je suis bien plus décidée et là tout va bien. Je sais déjà que je serai à Bercy en janvier 92. Je commence à avoir le trac.
Votre famille, Jacky, Ariane, Corbier, Patrick, Les Musclés, ne change pas.
Je suis fidèle à ceux que j'aime et qu'aiment les enfants. Je vis leur vie. Un jour, je m'inquiète de la santé des enfants de Jacky ou d'Ariane, une autre fois, nous fêtons une première dent de lait. Ces enfants ont une autre famille. Ils ont de la chance...
On a l'impression qu'avec Dorothée, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Et si ce n'était qu'une façade pour ne pas décevoir ceux qui l'ont mis en haut de l'affiche.
Vous ne vous mettez jamais en colère. Rien ne vous dérange?
Ah si! Mais avant tout, la bêtise et la mauvaise éducation. Je ne supporte pas les gens mal élevés. Il m'arrive d'avoir envie de gifler certains parents qui, pour laisser leurs enfants s'exprimer, les laissent faire ce qu'ils veulent, les transforment en de véritables petits monstres. Cette méthode, longtemps prônée par certains psychologues, disparaît de plus en plus. Je constate avec plaisir un retour à l'éducation traditionnelle, celle que j'ai reçue de mes parents. Ils étaient sévères mais justes.
Les animateurs n'aiment guère en France parler argent. Aux États-Unis, Bill Cosby apparaît dans la liste du magazine « Forbes » en bonne place et on sait à peu près l'étendue de sa fortune. Alors question tabou...
Dorothée, êtes-vous une femme riche ?
Je ne suis pas comptable. Je ne travaille pas pour l'argent. Mais bon ! Je gagne suffisamment pour ne pas demander le prix d'une chose avant de l'acheter. Mais je ne fais pas de folies réelles. A moins que... Cette maison est ma seule folie.
Vous avez le temps d'être une femme d'intérieur ?
Je suis un peu maniaque, mais pour le grand ménage, c'est par crise. Il m'arrive aussi de m'attaquer à l'argenterie, jusqu'à rechercher, pour la nettoyer, la moindre petite cuillère, ou un bouchon de salière. Quand je suis lancée, tout y passe. Pour la cuisine, c'est différent. Pas question de suivre une recette à la lettre. Je « bidouille », c'est-à-dire que je rajoute des ingrédients par-ci, par-là. Mon plat de prédilection : la ratatouille. Il me faut quatre heures. Mais à l'arrivée, on dit que je suis une championne.
Avez-vous de l'ambition ?
Non ! Comme on dit, j'ai eu de la chance et j'ai su la saisir. La plus grande a été de rencontrer les gens qu'il fallait au bon moment. Jacqueline Joubert, par exemple. Elle m'a tout appris. On parle de querelle, c'est elle qui est fâchée, pas moi, et j'espère même qu'avec le temps, ses griefs s'aplaniront...
Il y en a d'autres ! Ceux des parents anti-tabac qui ont été très étonnés, et nous l'ont fait savoir, de vous voir fumer une cigarette lors d'un récent « Surprise sur prise ». Vous avez été piégée.
Je mange, je bois, je dors, comme tout le monde. Je ne suis pas une fée mais tout simplement un être humain avec ses qualités et ses défauts, ses forces et ses faiblesses. La cigarette est l'une de ces faiblesses.
Ce n'est pas tout. Le mensuel « 50 Millions de consommateurs » consacre une enquête de son numéro de janvier à la télé des enfants. On passe au peigne fin vos séries japonaises jugées violentes et de mauvaise qualité ?
Sachez que les dessins animés de Walt Disney sont fabriqués également au Japon. Avant de lancer une série pour enfants, les Américains s'entourent d'une équipe de psychiatres et psychologues, les Japonais aussi. Pour le « Club Dorothée », nous avons des psychologues qui visionnent, analysent ce que nous allons présenter aux enfants. Leur jugement n'étant absolument pas négatif à propos des séries incriminées, nous n'avons aucune raison de cesser de les programmer. Les parents nous écrivent aussi pour nous dire qu'ils apprécient Sherlock Holmes» ou « Turbo Rangers. Aux États-Unis, il y a eu une époque où l'on ne montrait que des dessins animés mièvres. Résultat la délinquance juvénile était à son maximum. Qui n'a pas joué aux cow-boys et aux Indiens, dans les cours de récréation? On n'a pas attendu « G.I. Joe» pour apprendre à se battre, pour de faux. Pourquoi cacher que, si le rêve existe, la réalité n'est pas forcément douce ?...
Mireille TOUBOUL
Photos Michel Marizy
Dorothée n'a pas encore eu le temps de ranger sa collection de BD, entassée pour l'instant dans cette chambre. Presqu'un millier d'albums avec notamment « Spirou », « Buck Danny », « Blueberry », « Astérix »> et « Tibet ».
Elle a installé, en revanche, un paravent de son ami, le décorateur Claude Berche, qui lui rappelle l'Asie. Roxan, son inséparable yorkshire, apprécie.
Dorothée-clown avec Fabrice, fils d'une de ses amies, qu'elle a invité à goûter un samedi,
l'un des rares jours où elle est chez elle.
Dans la cuisine, à l'américaine, Dorothée a choisi le bois clair, très convivial. Sur les étagères, des verres hérités de son arrière-grand-mère maternelle : « Je suis très conservatrice, très attachée aux choses, surtout lorsqu'elles ont une histoire. »
Dorothée joue les stars dans le petit escalier en colimaçon menant aux chambres de
la maison. « Je ne suis pas sportive. Avant je marchais et je jouais au tennis. Maintenant je n'ai plus le temps ! »
Le salon vu d'en haut. On aperçoit la porte à battants sculptée le séparant de la cuisine: « Une des raisons de mon coup de foudre. »
Dorothée reçoit notre reporter à l'étage dominant le salon. La table indienne est l'une de ses dernières acquisitions : « J'aime chiner. »
DOROTHEE SORT LES MUSCLES
« Eh, les Musclés, j'ai vu vos affiches sur les murs de mon quartier. » Dorothée arrive en courant au studio. « C'est formidable, elle est aussi motivée que nous » s'attendrit Framboisier. Cinq énergumènes en costumes vert et tee-shirts jaune se dé- chaînent. Ouahou, super, le-plus-grand-orchestre-de-l'univers ! Ça va swinguer ! Quinze chansons, le meilleur de leur répertoire. De « On va faire la fête ce soir » à « Merguez partie ». Dorothée ne participe pas ? Non, au mois de décembre, elle a beaucoup de travail : les émissions des vacances de Noël, la Forêt enchantée au Champs de Mars... « Mais je les soutiens de tout mon cœur. » Alors, comme des grands et pour la première fois orphelins, ils affrontent le public des enfants à l'Olympia. En bonne fée, Dorothée veille. « Normal, les Musclés, ce sont avant tout des copains. On a fait le Zénith, Bercy et de nombreuses tournées ensemble, jusqu'en Chine... Alors, pendant les répétitions, je m'assied à la place du public et je leur glisse quelques tuyaux : Framboisier, tiens-toi droit ; Rémy, souris; Eric, regarde bien jusqu'au fond de la salle. » Une mère-poule !
De la scène plongée dans le noir, surgissent les forces du mal pourchassées par Bio- man à l'épée laser. Sous le déguisement se cache Minet, le batteur. « Biominet » glousse Dorothée. « La première fois que je l'ai vu, il était tout timide, je ne peux pas en dire autant de Framboisier, Monsieur-éclats-de-rire », toujours de bonne humeur, il dégage une sacrée ambiance aux « répètes ». Eric, un genre Monsieur muscle, toujours à faire des tractions et des haltères, pourtant c'est lui qui calme l'équipe lorsque nous sommes tous surexcités. Et puis, il y a Rémy, le saxo, mari d'Ariane, ma complice du « Club Dorothée. Pour me taquiner, il entame un morceau de jazz quand il faut jouer rock. René, le plus ancien de l'équipe et le plus sage, je l'appelle Papi René, pour rigoler. »
La semaine dernière, ils sont allés, tous ensemble, choisir les costumes. « Alors pour lui faire plaisir, on a décidé de porter aussi des smokings » chuchotte Rémy. « Elle nous aime bien habillés comme ça. » Sûr qu'elle va venir les admirer une après-midi. Alors les enfants, ouvrez l'œil, vous êtes peut-être assis à côté d'elle !
Sandrine BACOT
Jusqu'au 31 décembre à l'Olympia. Tous les jours à 14h30, Dimanche 23 à 11h. Prix des places : 130 F.