Le musée Grévin fait peau neuve
L’union – 15 février 1985
Paris Nomandie – 15 février 1985
Yannick Noah s'en va, Miou- Miou va le suivre. Ils laissent la place à la championne de judo Brigitte Deydié et à Michel Platini, le footballeur aux jambes d’or : baromètre de l'actualité, le musée Grévin change sans cesse ses têtes, la cire et sans pitié. Dorothée, elle est en préparation.
Au sous-sol, l'histoire de France reste immuable, en revanche le monde du théâtre est détrôné par celui du cinéma. Rien n'est définitif, tous les deux mois une nouvelle tête apparaît, plébiscité par le public. Après dix ans d'absence, le général de Gaulle vient de retrouver sa place au « panthéon » des hommes politiques. Quatre personnes décident en cœur de ces changements : leurs préférences vont à ceux qui font la une des quotidiens. Leurs choix contentent souvent tout le monde : Dorothée pour les habitués du mercredi ou Haroun Tazieff et ses volcans pour les inconditionnels de la nature. Mais les impératifs de l'actualité sont parfois difficiles à suivre. Si Pierre Mauroy a été remplacé par Laurent Fabius, en revanche Andropov est toujours présent.
Peu de personnalités refusent les honneurs du musée Grévin. Yves Montand a résisté quelques mois mais a fini par céder, par contre Jean-Edern Hallier, en manque de popularité, harcèle depuis un an la conseillère artistique. En vain : on ne demande pas sa statue de cire, comme la Légion d'honneur, il faut la mériter. Certains, non contents d'avoir été choisis demandent encore rémunération, le manager de Platini a mis à prix la tête du joueur de football. Le musée Grévin est une petite société anonyme entièrement privée qui emploie une cinquantaine de personnes, en majorité des gardes. A l'atelier, le personnel se prête aux caprices des élus, le sculpteur a dû se déplacer pour les séances de pose de Laurent Fabius et Haroun Tazieff et a ensuite travaillé d'après document photographique.
Une fois que la tête a été sculptée dans la terre glaise, que les empreintes des pieds et des mains sont prêtes, l'ensemble est remis au mouleur qui fond le tout en cire d'après une technique centenaire. En cas d'oubli, les empreintes des pieds de la secrétaire feront l'affaire, par contre les mains sont soigneusement moulées dans un gant de silastène.
Les finances limitent l'imagination du sculpteur : au prix actuel d'une véritable prothèse dentaire, tout le monde n'a pas droit au sourire. Christine Ockrent a perdu son sourire de présentatrice, Ronald Reagan a, lui, gardé son sourire de prestige. Tout comme les dents, les yeux sont des prothèses.
La tête passe ensuite aux maquilleuses qui, après avoir implanté de vrais cheveux un à un (une journée à une semaine de travail), la maquillent avec de la peinture à l'huile. Le corps est moulé d'après les mensurations du modèle et habillé par les costumiers du musée. Il y a des exceptions, Christine Ockrent et Marie-Christine Barrault se sont vu offrir un tailleur par leurs couturiers respectifs, J.-L. Scherrer et Per Spook. Tous frais compris, un mannequin revient à 50.000 F.
En 1984, Jacques Chancel, Pierre Mauroy et Jacques Laffite ont dû céder leur place. Quelles seront les nouvelles têtes à tomber sous le couperet dans les mois à venir ?
Musée Grévin : la valse des têtes
Le Figaro – 12 février 1985
Il est prêt. « II », c'est un superbe Platini de cire, en culottes courtes. Souriant. Musclé. Presque plus vrai que nature. Il doit s'installer prochainement avec les vedettes du moment, dans la grande galerie du musée Grévin. Sur ses pas viendront Brigitte Deydier, la championne du monde de judo ; Dorothée, de l'émission Récré A 2, Haroun Tazieff...
PAR GENEVIÈVE GAILLET
« Nous allons d'ici à deux ans façonner dans nos ateliers plus de cent personnages, précise Claude Tilleard, directeur général du musée. Quinze pour Grévin, quarante-huit pour Monastir, où ouvrira, fin 1986, un musée de cire dont nous fournirons les pensionnaires et une quarantaine d'acteurs connus pour une Histoire du cinéma, qui se prépare... » Pour bien se convaincre de la réalité éphémère de la célébrité, rien ne vaut la visite de ce musée de quatre cents personnages. « Une tête chasse l'autre, constate philosophiquement le jeune sculpteur du musée, Eric de Saint-Chaffray, rencontré dans son atelier en train de fignoler le modelage d'une nouvelle recrue. Fabius a remplacé Mauroy et Christine Ockrent, Chancel... Ceux qui ont perdu la cote ou la vie se retrouvent inexorablement au placard... »
Vanité des vanités. Mises au rancart sans hiérarchie, mais soigneusement étiquetées, les têtes de Brejnev, Messmer, Guichard, Henri Comte de Paris, Nixon, Cocteau, Jean Marais, Charles Trenet, Darmon, Borg, Elkabbach, Jacques Martin... Ex-pensionnaire de Grévin, Mme Thatcher a été reconvertie en soubrette de Balzac, dans ce très beau musée de cire, ouvert l'an dernier à Tours, l'Historial. Dans son livre Le Monde fantastique du musée Grévin, Robert Baschet rappelle que la tête d'Edouard Herriot, jetée dans l'eau bouillante, servit à fixer dans la cire les traits de son successeur, Joseph Paul-Boncour.
Seul le général de Gaulle - et cela, à la demande du public - continue à franchir allégrement les décennies à l'entrée du musée où il accueille les visiteurs.
Les artisans de Grévin ? Un sculpteur, deux mouleurs, deux costumiers, trois maquilleuses... Une talentueuse équipe bien soudée qui officie en coulisse pour recréer ces personnages si vivants, qu'on a envie de les saluer en passant. « Il arrive que des particuliers passent commande, raconte Régis Thomas, P.-D.G. du musée et petit-fils de Gabriel Thomas, le financier qui fit Grévin. Ainsi, la femme du géant Atlas, cabaretier belge, nous demanda, touchante preuve d'amour conjugal, de réaliser l'effigie de son défunt mari, qu'elle voulait placer à l'entrée du restaurant Comme il mesurait 2,50 m, il nous posa quelques problèmes. Quant à Claude-Bernard Haim, propriétaire d'une galerie de tableaux, il désirait son double de cire pour recevoir les importuns... A sa place. »
Cette institution. Plus que centenaire, fondée par Alfred Grévin, dessinateur humoristique, et Arthur Meyer, créateur du journal Le Gaulois, a battu en 1984 son record absolu d’affluence : six cent cinquante mille visiteurs. Son petit théâtre 1900, classé monument historique depuis 1964, s'anime chaque jour avec des concerts, opéras bouffe, opéras de poche : Yves Lecoq doit y apparaître à partir du 26 février. Preuve de vitalité : les « ex-tensions » de Tours, de Lourdes (deux cent vingt mille entrées par an), et du Forum des Halles (cent soixante mille entrées), ainsi que les « pourparlers en cours », avec la Suisse, l'Allemagne et la Belgique. Conservatoire de l'histoire et de nos souvenirs d'enfance, le musée Grévin a réussi ce tour de force: innover sans cesse tout en maintenant son caractère.
G. G.