Les enfants et la télévision
Télé Star - 1984
Que souhaitent-ils ? Nous avons interrogé 500 enfants de 6 à 12 ans. Ils se sont exprimés spontanément. Ainsi que leurs parents. Pour la première fois, un sondage sur les enfants et la télévision ne s'est pas voulu directif mais «ouvert», comme disent les professionnels. Le résultat: un instantané. Un constat plein d'enseignements. Nous avons demandé à Evelyne Sullerot, sociologue et membre du Conseil économique et social, de tirer les conclusions de cette enquête exclusive.
Mention assez bien
PAR EVELYNE SULLEROT
Depuis l'âge où on les mettait sur le pot devant le poste: « Ecoute, regarde, et tais-toi!», ils ont été abreuvés d'images. On a dit qu'ils avaient trois parents: un père, une mère et la télévision. On a dit qu'ils avaient deux écoles: la classe et la télévision. On a dit qu'ils avaient le sommeil per- turbé, des digestions difficiles, des cauchemars, qu'ils ne savaient plus jouer tout seul, et encore moins lire à cause de la télévision. Que n'a-t-on pas dit des enfants de la télé! Le mérite de cette enquête, c'est d'avoir considéré les enfants comme un public à satisfaire, au lieu de discuter sans fin des effets de la télévision sur eux. On s'aperçoit à la lire que, pour les professionnels qui font les programmes, le public des enfants pose des problèmes redoutables. En effet, ce n'est pas tout à fait un public libre, qu'on attire simplement en lui offrant ce qui lui plaît: pour toucher les enfants, il faut savoir d'abord convaincre les parents, passer par le filtre des parents. Plus de 7 parents sur 10 affirment ne pas autoriser leurs enfants à regarder certains programmes, et les enfants confirment. Tout particulièrement, les parents surveillent les plus grands, les 8-12 ans, et leur défendent les films réservés aux adultes; ils montent la garde plus sévèrement pour les filles (83%) que pour les garçons (76%). Pour l'écrasante majorité des parents qui imposent un tri parmi les émissions, ce qui ne doit pas être regardé par les enfants, c'est notre fiction pour grandes personnes, malsaine pour les petits. Mais, tout de même, on reste surpris que 29% des parents n'exercent aucune censure et n'interdisent aucune émission à leurs enfants. Ainsi, plus d'un enfant sur trois de 10 à 12 ans regarde ce qu'il veut quand il veut. Certes, ces 10-12 ans sont traités plus libéralement que les 6-9 ans, et les garçons plus que les filles. Mais ce sont avec eux, les plus grands et les garçons, qu'il naît, semble-t-il, le plus de discussions, car ce sont eux qui sont le plus fréquemment (53% des cas) punis par la privation de télévision. Les parents ne filtrent pas seulement les émissions: ils contrôlent également (57%) le moment où l'enfant peut ou non regarder la télévision. Voilà une autre caractéristique bien particulière à ce public enfantin: il n'est pas disponible tout le temps, loin de là. Il a ses jours et ses heures. Les téléspectateurs qui vont à l'école primaire ont des problèmes d'horaires très stricts. Et ils doivent se coucher tôt quand « il y a école le lendemain » Donc, pas d'émissions tardives ces soirs-là. Pourront-ils regarder la télévision du matin entre 7 et 9 heures? Un non massif des parents (94%), qui ont bien raison. Leurs plages d'écoute leur donnent-elles satisfaction? Après la classe jusqu'au dîner, 60% des 6 à 9 ans regardent la télé au moins une ou deux fois par semaine. Grosso-modo, les parents estiment satisfaisante, pour ces tranches horaires, la dose de programmes pour jeunes. Les 10-12 ans suivent plutôt le journal de 20 heures (les garçons - 53% - bien plus que les filles - 37% -) et, surtout, regardent le programme du soir: 77% (!) quand il n'y a pas classe le lendemain. C'est là que les choses ne vont plus: une majorité de parents estiment que, le mardi soir et le samedi soir, il n'y a pas assez de programmes qui conviennent aux enfants. Les enfants eux-mêmes ne sont que 39% à trouver, le mardi soir, des émissions qui leur plaisent. Le mercredi après-midi (jour des enfants par excellence) et le dimanche après-midi, parents et enfants sont plutôt satisfaits. Mais le samedi après-midi, à nouveau, 44,3% se plaignent du manque d'émissions pour enfants. Dernière et importante constatation qui montre combien il est difficile de satisfaire les jeunes téléspectateurs: les enfants ne forment pas une audience homogène, mais des publics différents. Même en se limitant aux écoliers de 6 à 12 ans, ce sondage révèle des réactions très dissemblables selon les âges.
Des publics différents selon les âges
Les 6-7 ans plébiscitent les dessins animés (94,7%). Ils en veulent davantage. Leurs héros sont les Schtroumpfs, Candy, Snoopy, etc. La présentatrice qu'ils aiment? Dorothée (55%). Aucun ne songe à nommer Michel Drucker. Ils souhaiteraient qu'il y ait moins de science-fiction, moins de policiers, moins de chansons. Quant à la publicité qui les frappe, c'est celle qui présente des produits pour eux: jouets, friandises. Combien différents apparaissent les 10 12 ans! Ils veulent plus de films d'aventures, de policiers, de programmes sur la nature. Leurs héros préférés sont des vedettes de cinéma ou de séries. Un sur trois aime bien Dorothée, mais les autres ne pensent pas à la nommer ou dispersent leurs suffrages. En fin de compte, les uns et les autres trouvent leur satisfaction avec «Récré A2» qui fait un superbe score, nommée comme émission préférée par 55% des enfants. Mais ce ne sont pas les mêmes séquences qui plaisent aux 7 ans et aux 12 ans. Il est bien normal qu'entre 6 et 12 ans, les goûts changent. Il est plus étonnant de constater combien filles et garçons réagissent différemment : une majorité de garçons voudraient davantage de science-fiction et une fille sur deux en voudrait moins... Les uns et les autres se moquent pas mal de savoir si c'est leur nature féminine ou masculine, ou s'ils ont été conditionnés par leur entourage – mais le fait est qu'ils n'ont pas les mêmes goûts. Le petit écran, qui ne fait pas de différence entre les enfants selon la profession des parents, ou selon qu'ils habitent une grande ville ou un village, divise nettement petites filles et petits garçons. Plaire aux parents, aux petits, aux moyens, aux filles, aux garçons, à certaines heures et certains jours alors que des adultes et des personnes âgées attendent autre chose c'est la quadrature du cercle... La télévision n'y arrive pas trop mal, sauf le mardi soir et le samedi soir, où parents et enfants aimeraient regarder ensemble, en famille. Certes, il y a bien les dauphins du commandant Cousteau, mais pas toute l'année!
E.S.