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Michael Jackson plutôt que Dorothée

Le Monde – Jeudi 9 août 1984

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A la bibliothèque de l'Heure joyeuse qui abrite un secteur audiovisuel en plein cœur du quartier Latin, un jeudi après-midi. Dans un bac, soigneusement rangées par genres, les jaquettes des cassettes prêtées aux enfants. Un groupe d'élèves de CM2 envahit la salle, s'agglutine autour du bureau. « Je te rends ça, c'était super », dit une petite blonde à l'air futé, en tendant une cassette de Bob Marley.
Vous n'avez pas encore Michael Jackson ? » Un écho approbateur se répand dans le groupe : Oh oui Michael Jackson... » La discothécaire soupire : « Ça change tous les ans. L'année dernière, vous n'arrêtiez pas de réclamer les Forbans... » Les enfants s'affairent autour du bac rock et pop ». Ils repartent avec Genesis, Téléphone, Presley, Madness, Police et un Tintin retrouvé par miracle au rayon du jazz.
« Les enfants de cette classe ont onze-douze ans, commente la responsable des prêts. Ils n'empruntent pratiquement que du rock, du pop ou de la variété étrangère. C'est étonnant, mais ils apprécient des choses anciennes : comme Presley, les Beatles, les Rolling Stones. Les six-dix ans écoutent encore volontiers les disques pour enfants, mais, à partir de dix ans, ils réclament surtout des enregistrements dits « adultes ».
Même son de cloche à la FNAC Forum. Mme Juliette Marchou, responsable du département variétés, commente : « Les six-douze ans, oui, on en voit ici, mais surtout avec leurs parents. Ceux qui viennent seuls achètent peu de cassettes enfants. Leur choix se porte essentiellement sur le fonds général, surtout le pop. Ce qui se vend le mieux ? Les Forbans, le groupe Indochine et, naturellement, Michael Jackson. Il y a aussi des amateurs de classiques, et même, parmi eux, quelques passionnés d'opéra. Ce sont, la plupart du temps, des enfants qui pratiquent un instrument et fréquentent un conservatoire ou qui vivent dans un milieu très mélomane. Tous viennent avec des titres précis, qu'ils nous réclament lorsqu'ils ne les trouvent pas exposés. Les six-douze ans ne flânent pas dans les rayons. Cela, c'est l'apanage des treize-dix-huit ans. »
Ce qui se vend le mieux en matière de chansons pour enfants à la FNAC Chantal Goya, battue d'une courte tête par Dorothée. Sinon, les cassettes roses de chez Hachette avec « le Club des Cinq », ou encore des histoires de science-fiction, le plus souvent en rapport avec des émissions télévisées : « Goldorack », « Capitaine Flam », « Albator ». C'est le plus souvent, le choix des enfants. Les parents, eux, préfèrent le Petit Prince ou la série des « Grands musiciens racontés aux enfants » éditée par le Petit Ménestrel. Quand parents et enfants ne sont pas d'accord, c'est presque toujours l'enfant qui a le dernier mot : les adultes préfèrent acheter une cassette que leur fils ou leur fille écoutera vraiment. Quand les parents viennent seuls, ils demandent volontiers conseil, étant en général mal informés.
Même écho à l'Heure joyeuse : « Ce qui frappe, c'est le manque d'information. On ne connaît finalement que ce qui passe à la télévision. Quant aux parents, ils ont tendance à proposer à leurs enfants ce qu'ils ont écouté eux-mêmes quand ils étaient petits. »
Certains parents arrivent cependant à s'informer par des circuits parallèles : festivals de chansons pour enfants (ils sont de plus en plus nombreux), animations dans les
classes, ateliers divers... « Dès qu'on fait un travail d'information et d'animation correct autour de ces chanteurs, on s'aperçoit que les enfants les apprécient et les réclament, dit la discothécaire. Il nous arrive d'inviter certains d'entre eux à la bibliothèque pour un spectacle.
Dernièrement nous avons reçu Gaby Marchand, totalement ignoré des médias en France. Résultat : plus une seule cassette de ce chanteur en rayon depuis son passage. Le même phénomène s'est déjà produit avec James Ollivier et Amulette. »
Il suffit parfois, simplement, de donner à entendre. Au rayon disques de la FNAC, Mme Juliette Marchou pose sur la platine un disque des Gens de Lorraine. Conséquence immédiate : une dizaine de disques vendus dans le quart d'heure qui suit.
Les enfants se précipitent vers les productions pour adultes, c'est un fait. Pourquoi ? Peut-être qu'à partir de dix ans l'édition pour enfants n'a plus grand-chose à leur offrir. Le disque et la cassette enfants ne représentaient plus en 1983 que 1,7 % du marché avec deux cent cinq titres (contre quatre cent quatre-vingt-quatre en 1980) ainsi répartis soixante disques 30 cm, soixante et un disques 17 cm et quatre-vingt-quatre cassettes. La cassette amorce une montée en flèche. Elle est la favorite des enfants parce que moins fragile et plus maniable, et de certains éditeurs.
Dès l'âge de la maternelle, les enfants écoutent la même chose que leurs parents : radio, télévision ou discothèque familiale. Vers sept-huit ans, ils commencent à avoir des désirs dans ce domaine, et c'est vers dix ans qu'on voit les goûts s'affirmer, soit en conformité avec les choix familiaux, soit en opposition totale.
A l'exemple des enfants des siècles passés qui avaient retenu Stevenson et Daniel de Foe de préférence à la littérature enfantine un peu ennuyeuse qu'on leur imposait, les enfants d'aujourd'hui ont plébiscité Pierre Perret, Alain Souchon, Yves Dutheil, Gotainer, Carlos, qui ne pensaient pas à eux. Seraient-ils plus proches de leurs préoccupations et de leur univers quotidien que Chantal Goya ou Dorothée ?


FRANÇOISE TENIER.

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