Pas de vacances pour Dorothée
Jours de France - 1989
A Bercy dès la rentrée, Dorothée consacre bien peu de temps au farniente et au bronzage : so, vrai repos c’est le travail !
Elle court, elle court, Dorothée. Un jour elle furète sur la plage de Nice. Un autre elle se balance à bord d'un grand voilier au large de la baie des Anges. En cherchant bien, vous arriverez peut-être à la découvrir sur les collines des alentours, dans une villa transformée en studio d'enregistrement TV. Et si ce périple vous laisse bredouille, vous ne pouvez la manquer, chaque après-midi, sur TF1. Durant deux heures, avec ses amis du Club Dorothée, Jacky en tête, elle tient compagnie aux enfants et à tous ceux qui n'ont que le petit écran pour tromper leur solitude, des papies et des mamies qui ont largement passé l'âge des fans de Goldorak et de Punky Brewster, mais qui aiment bien Dorothée et son petit nez retroussé, son punch à laisser sur le flanc tous ceux qui ne naviguent pas couramment dans «ses eaux ». « Cinq heures de sommeil me suffisent, dit Dorothée, le museau plongé dans une coupe de Martini. Lorsque je ne dors que quatre heures, passe encore. En dessous de ce minimum, j'ai du mal à rassembler mes idées. »
Une ou deux fois par an, "miracle». Dorothée prend huit jours de vacances. Des vraies. Loin. Des escapades toujours décidées l'avant- veille du départ. La dernière: les Seychelles en janvier avec sa mère (Jacqueline). C'était une première pour nous deux. Des belles vacances. Maman était contente. Ça me suffit. »
A Nice où est basée l'équipe TV durant juillet, seul Roxan, un yorkshire taillé en brosse, façon punk, partage l'intimité de Dorothée durant ce marathon d'été. Huit à dix heures d'enregistrement chaque jour, y compris les samedis. «Le vrai moment de dé- tente, c'est heure du dîner, toujours très tardif. Jacky, fin gourmet, me fait découvrir tous les bons restaurants des environs de Nice. Moi qui mange chaque jour des œufs au plat, quel changement! Je suis sûre de peser au moins quarante-cinq kilos ! »
Championne des émissions pour enfants, star de TF1 depuis deux ans après avoir fait les beaux après-midi d'Antenne 2 durant dix ans, millionnaire du disque (dix millions de 45 tours vendus) et également vedette de la scène (son passage au Zénith en décembre dernier a été un triomphe). Dorothée est un poids-plume: quarante-deux kilos quand ce diable de Jacky ne l'entraîne pas dans des périples gastronomiques sans fin. Pour 1m62, ça ne laisse rien de superflu.
Ses yeux, très sombres, vous fixent, directs. Ils lui mangent la moitié du visage; un ovale plutôt pointu qui s'allonge encore davantage lorsqu'elle tresse ses cheveux tout en arrière. «Je déteste toutes les contraintes. Etre prisonnière d'une coiffure, quelle horreur! Un jour, je tire mes cheveux en queue de cheval, un autre, je les dresse en forme de palmier ou en chou. Tout sauf les cheveux flous qui vous chatouillent le nez quand il ne faut pas, devant les caméras, de préférence...»
"JE N'AI PAS L'IMPRESSION DE TRAVAILLER: »
Bermuda, pull marin, ballerines, Dorothée a imposé son style. Pour ses émissions, elle est habillée comme ce soir et tous les autres jours. Elle a aussi le même débit qu'à l'antenne, rapide, saccadé. Le secret de Dorothée: être elle-même. Que les moteurs tournent ou non. « Je n'ai jamais l'impression de travailler. Faire ce qu'on aime, c'est un bonheur. Si par hasard j'ai un grand coup de fatigue, je le dis aux téléspectateurs: « Excusez-moi, mais j'ai sommeil. Alors je vous passe tout de suite votre feuilleton chéri et on se retrouve après. Le temps de prendre un petit café ! L'autre semaine, j'étais au Japon pour l'enregistrement d'une émission. J'ai salué mes petits amis en leur disant: Pour vous, c'est l'après-midi. Mais pour moi, c'est la pleine nuit. Alors, à vous « Goldorak ». Moi, je vais me coucher... C'est aussi une façon de leur expliquer les décalages horaires. »
Sans prétendre faire de la pédagogie, Dorothée ne manque pas une occasion d'envoyer des informations qui n'ont l'air de rien, mais qui peuvent aussi bien frapper les petites têtes distraites des enfants qu'un long exposé type scolaire.
« Pour l'histoire et la géographie, ils ont l'école. Mon souhait c'est de leur apprendre la vie de tous les jours, le respect humain, la complicité. »
Au Club Dorothée, la complicité crève l'écran. Pas une grogne, ou un fou rire qui ne soit partagé avec les téléspectateurs.
« C'est venu par hasard, explique Dorothée. Un jour, je me suis aperçue qu'un cadreur était écroulé de rire en nous écoutant. Vite j'ai fait signe à un caméraman de le filmer. Et tout le monde a été pris de fou rire. Les enfants ont l'impression de partager les coulisses de l'émission avec nous. Ils adorent. »
Dorothée, un produit fabriqué? Allons donc. Plutôt une étrange rencontre entre un tempérament qui, bien avant d'être starisé et médiatisé, a tapé dans l'œil des petits qui ne trouvaient personne dans la lucarne magique qui parle comme eux, réagissent comme eux. Parfois abrupte, «pas spécialement gentille », dit-elle, impertinente et surtout d'un dynamisme à secouer les plus endormis. Il y a des années de cela - c'était encore au temps de l'ORTF, l'ère quasiment préhistorique de la télévision une femme a eu un sacré flair en devinant tout cela. Elle s'appelait Jacqueline Joubert. Elle a su trouver le mode d'emploi de cette adolescente, utiliser le bon ressort. Et c'est parti pour Dorothée. Avec quelques petits moments d'éclipse. Le chômage, huit mois. Quelques animations dans les supermarchés. Et surtout, son plus mauvais souvenir: secrétaire dans une société de robinetterie. « Pour eux aussi, ce fut un mauvais moment à passer. »
LES PROFESSIONNELS SONT RESTES BOUCHE BEE
Et puis, voilà huit ans, avec la chanson, c'est l'explosion. Son premier Olympia, en avril 1981, laisse tous les professionnels bouche bée. D'année en année, il lui faut trouver des salles plus grandes. En janvier prochain, elle investira Bercy. Chaque souci en son temps. J'y penserai dès la rentrée. Je sais déjà que j'aurai un trac fou. Les jambes qui tremblent. La peur avant. La peur pendant. La fatigue après. Mais le bonheur d'avoir le sentiment qu'on ne déçoit pas son public. C'est ce qui m'importe le plus. S'il faut se battre contre lui, s'imposer malgré lui, autant faire autre chose.»
Elle monte, elle monte, la petite blonde à la queue de cheval. Mais pas folle au point de rêver des gradins bondés du Parc des Princes. (« J'ai besoin d'avoir les enfants presque sous le nez, de dialoguer avec eux. ») N'allez pas croire que les amis de Dorothée ne sont que des baby-fans. Les parents ne traînent pas vraiment les pieds pour accompagner leurs enfants. Ceux qui font le succès de « Hou, la menteuse, elle est amoureuse » et de « Maman » sont, dit-on, d'âge indéterminé. Poil au nez, comme dirait Dorothée qui vient de fêter le 14 juillet à sa façon. En soufflant ses trente-six bougies.
Christine Gauthey