Quand Dorothée scintille à Shangaï
France-Soir – 8 mai 1991
Entre « Rick Hunter » et un feuilleton mexicain, les téléspectateurs chinois ont découvert un beau jour Dorothée. Populaire en Chine, l'animatrice de TF1 vient d'y donner une série de galas. Tout en mettant en boîte, à Shangaï, plusieurs émissions.
« Ici je peux tout faire, davantage qu'avec les Français », dit la chanteuse qui a transporté son « club » sur place.
1991
De notre envoyée spéciale Florence TRÉDEZ
SHANGAI
« No kutchi ko lo dua ? » (« Vous n'avez pas vu un dromadaire ?») Lâché dans les rues de Shangaï, Jacky, le cheveu hérissé tel un savant fou, gesticulant, grimaçant, apostrophe les passants à la recherche d'un improbable dromadaire femelle. Intimidée, une vieille femme en costume Mao secoue la tête, un tireur de pousse-pousse moderne, intrigué, descend de son vélomoteur pour contempler le portrait de Sarah, l'exotique mascotte du « Club Dorothée », que lui tend le drôle d'animateur occidental.
En une minute, dans une atmosphère bon-enfant, un attroupement s'est formé autour de Jacky, Ariane et Dorothée. Un quidam s'exclame, il a reconnu la blonde chevelure de la star des enfants, qu'il a vue sur Shangaï TV, entre un « Rick Hunter »> (très apprécié là-bas) et un feuilleton mexicain. En retrait, un policier taciturne en costume vert sombre s'interroge va-t-il ou non mettre un peu d'ordre dans cette émeute de rue ? L'interprète de l'équipe occidentale tremble.
AMBASSADEURS. Mademoiselle Dorothée, « vedette de chant de France » (traduction libre des interprètes du cru), est partie à l'assaut de la Chine populaire. Avec armes, bagages et Musclés, ces ambassadeurs si fins de la culture française. Sa longue marche a commencé, lorsque, découverte par hasard sur la scène de Bercy par un officiel chinois de passage à Paris, elle fut invitée à chanter pour leur prestigieux Festival de télévision, regardé par 700 millions de téléspectateurs et à donner trois galas en six jours à Shangaï.
Rebelote un an plus tard : venue chanter devant deux fois douze mille personnes à Shangaï puis Xian-Sin, Dorothée et toute l'équipe d'A.B. productions en ont profité pour mettre en boîte les programmes quotidiens du « Club Dorothée ».
Fans de Madonna et de Michael Jackson, les Chinois succomberaient-ils aussi au charme acidulé de « Dorothée rock », rebaptisée d'un nom signifiant dans leur langue « la grâce et le parfum »
Pour eux, je suis une « fée scintillante », je leur donne de la magie, répond, avec un sourire timidement modeste, Mam'zelle Do. Avant de venir en Chine, ils nous ont demandé la traduction de toutes mes chansons. Le côté « amour, toujours » a dû leur plaire. Ce qui change pour moi, ici, c'est que mon public se compose à majorité de teenagers et de familles. Mais les Chinois ont gardé une âme d'enfant avec eux, je peux tout faire, davantage qu'avec les Français. Je me montre tour à tour romantique, drôle ou foldingue. »
SOSIE. Ce soir est le grand soir. Situé au sud-ouest de la ville, à deux pas de l'Hôtel Sheraton, le stade circulaire de Shangaï est un bâtiment couvert et frigorifique aussi accueillant qu'une salle des fêtes soviétique en plein Moscou. Des centaines de gros câbles noirs artisanalement raccordés à une console vétuste vous préviennent de mettre les pieds n'importe où. Tout peut arriver, même le clan Musclés, nos émissaires du charme français, qui, cérémonieusement introduits par une présentatrice de la télé locale, étonnant sosie de Mireille Mathieu, font une entrée en fanfare et complets multicolores sur l'air de « La Fête au village ».
Sans nuances, ces rescapes des bals populaires nous assèneront des « Nous on est fiers d'être français » et autres « moi j'aime les filles, les grosses, les moches et les jolies » mollement applaudis par douze mille spectateurs éberlués. Mais après le numéro d'Hélène, un pur produit A.B. qui chante « Dans ses grands yeux verts », Dorothée entre en scène, et alterne une heure durant chansons douces en chinois (« Nicolas et Marjolaine », gros succès) et rock endiablé très yé-yé (avec guitare débranchée et le toutim).
UN MOIS DE SALAIRE. Un spectateur chinois, placé à côté de moi et à qui son entreprise a payé une place pour le concert, s'enthousiasme, en levant le pouce, pour Dorothée, « cette très grande artiste » (il n'a cependant pas acheté la cassette de son album, vendue ici, selon les estimations, à 150.000 exemplaires, et dont le prix représente pour lui un mois de salaire). Ex-manager de Sylvie Vartan, Jean-Luc Azoulay, son mentor et directeur, avec Claude Berda, d'A.B. Productions (« l'entreprise Dorothée », disques, spectacles et programmes T.V.) qui signe toutes les chansons de « Do », recycle habilement l'héritage sixties. Veut-il faire de Dorothée, qui prépare Bercy pour janvier 92, une nouvelle Sylvie ?
« Mon évolution se fait naturellement mais sûrement, assure Dorothée. C'est vrai que mon rêve serait de monter une comédie musicale dans le style « Happy Days ». En tout cas, une chose est sûre : je ne chante pas que pour les enfants, mais pour toute la famille. »
CIRQUE. Le spectacle terminé, les représentants du ministère de la Culture remerciés, les fans évités (une meute de jeunes Shanghaiens a pris d'assaut le car où s'était réfugiée la star occidentale), au boulot ! Pas question pour la stakhanoviste de choc, levée depuis 8 h 30 du matin et à peine démaquillée, de se reposer un instant sur ses lauriers. Direction : le cirque de Shangaï où Dorothée doit, en compagnie de Jacky et Ariane, enregistrer les lancements des numéros que présentera aux petits Français le « Club Dorothée ».
Pendant que sept extraordinaires petits chiens savants s'activent sur la piste, « Do », épuisée mais très pro, fume cigarette sur cigarette en solitaire : le tournage ne s'achèvera qu'à deux heures du matin.
Le lendemain s'avère plus détendu. Dorothée est ravie d'apprendre qu'elle a une heure de libre sur son planning pour flâner et lécher les vitrines. Rendez-vous au port où l'équipe tourne sur le fleuve Huang Pu. Le matin est gris, comme empesé par le voile de pollution qui couvre la ville. Des milliers de vélos prennent d'assaut les grandes allées égayées par des dazibaos et des publicités avec pin-up très années cinquante. La Chine s'éveille. « La fée scintillante » se frotte les yeux.